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Françoise Duvivier est une artiste parisienne qui a médiatisé ses travaux de collages sur certains disques de Dive ("Final Report", "First Album" et "Images"). Ses œuvres sont des tableaux terrifiants d'une réalité décadente et macabre. F. Duvivier écorche la beauté stéréotypée qui nous entoure et nous inflige un chaos d'icônes cruelles. Entrer dans son univers obscur, c'est aussi franchir l'envers du décor de la conscience humaine. Tapi dans l'ombre de l'inconscient, et refoulé en chacun de nous, ce défilé des atrocités est imposé par F.Duvivier pour balafrer l'art ordinaire. Abreuvée par des ambiances shizo de la musique industrielle, elle se rebelle catégoriquement contre les valeurs esthétiques du beau universel, au détriment d'une beauté effroyablement morbide qui viole tous les tabous. Ses collages sont des scans de l'enfer et véhiculent la mort dans toute sa majesté. Interview de F. Duvivier façon Claude Chapier.
Walter Scassolini


-Walter Scassolini: Qu'est-ce qui t'a amenée à exprimer ton art ? As-tu fait des études dans ce domaine ?

-Françoise Duvivier:
Je n'ai fait aucune étude d'art et j'ai ressenti le désir d'exprimer des signes, des images depuis que je suis de ce monde. Il y a derrière ces images davantage de désirs d'expérimentations et un désir de communiquer des émotions au public qu'une recherche puriste et intellectuelle d'un concept, d'un style ou d'une connaissance rationnelle. Je n'ai poursuivi aucune étude dans le domaine de l'art, et si au début, j'en ai éprouvé un grand complexe, une sorte de manque et de vide, j'ai appris avec l'expérience que le monde autour de moi, et moi-même, étions des abîmes infinis de richesses émotionnelles à exprimer. Je parle autant de nos névroses, de l'énorme sentiment d'étrangeté qui nous hante, d'un état prénatal qui nous domine, d'un puissant inconscient collectif qui détermine souvent nos actes... Brièvement, je ne m'intéresse pas à l'art, je déteste ce mot et le romantisme qui l'accompagne depuis des siècles m'agace. Ce qu'on appelle "Art" est en fait, une culture imposée depuis notre enfance. Une sorte de domestication. Et j'essaie de me distancier des influences et de leurs préjugés. Ce qui m'intéresse, c'est l'humain dans son extrême complexité, sa souillure, sa violence, sa monstruosité... Ce qui m'intéresse, c'est la vie, la mort, et l'une ne va pas sans l'autre. Il y a beaucoup à exprimer à travers tout cela, et c'est ce qui donne une richesse à la vie : la fascination de l'abîme de l'âme tout en sachant que l'on peut tomber dans ce trou immense et obscur et avoir la capacité d'en revenir et de porter ces visions à l'état concret. L'émotion à l'état brut représente pour moi une rébellion nécessaire et vitale contre une société qui se veut de plus en plus rationnelle, matérialiste et privée de toute forme de magie. Il est certain que c'est cette magie qui manque surtout dans les hauts lieux de l'art - la conception de l'art dont nous héritons depuis notre enfance est exsangue. Elle est nettoyée et coupée de ce qui est profondément "primitif" au fond de nous - quand je dis "primitif", je veux dire par là beaucoup de choses qui ont trait à la magie, à l'émerveillement, à notre harmonie avec les forces obscures de la nature et nos peurs. L'art, dans son désir "d'ordonner la nature" a tué en quelque sorte ce qui nous liait avec le sacré ou à une sorte de paganisme bienfaiteur et de rébellion saine. Quant à ma méthode de travail, elle est simple, mais elle m'a demandé beaucoup d'efforts, elle est simplement l'état de se laisser "hanter", et de dominer ce qui "hante".
-Walter Scassolini: C'est-à-dire que tu visualises l'image pour la concevoir?

-Françoise Duvivier:
Certaines images sont fortement visualisées avant d'être exprimées à travers un support, et je parle ici des masques et des poupées. Je privilégie le rêve nocturne qui me guide. Si, pour certains, le rêve a une valeur psychanalytique, il est pour moi bien plus puissant. Il n'est pas une source de "connaissances", il n'est "qu'émerveillement", et je ne cherche pas sa signification (ça serait d'ailleurs dommage). Les poupées sont un monde nocturne, comme les masques, elles portent (je crois), un message. Elles m'apprennent beaucoup - et j'ai parfois l'impression de vivre plusieurs civilisations à travers elles comme à travers les masques. Il m'arrive d'être "hantée" en plein jour et c'est pourquoi j'aime visiter les anciennes demeures où j'essaie de percevoir des présences qui se visualisent peu à peu - des fantômes ?, pourquoi pas ?, car j'y crois. Chaque poupée a sa propre histoire. La poupée me fascine par sa puissance magique. Elle est là depuis l'aube de l'humanité. Ce fut le premier jouet, après avoir été la première sculpture, et je suis étonnée et curieuse de la peur et de ma propre peur, que nous éprouvons vis-à-vis d'elle. Depuis 3 ans, j'essaie de chercher à travers elles ce quelque chose qui n'a pas de nom. J'exploite la peur, la fascination des autres et la mienne avec. Ce sont là mes inspirations. L'univers des collages est bien né avant la réalisation des masques et des poupées.
-Walter Scassolini: En ce qui concerne les collages, tu ne les crées qu'avec une source auditive ?

-Françoise Duvivier:
Complètement ! Ils ne savent pas exister sans un fond sonore. Cette rencontre avec les musiques dites industrielles, expé... etc... a été déterminante à une époque où je ne me sentais pas à l'aise dans ces grands panneaux picturaux que je créais. Il n'y avait pas ici d'osmose, rien d'authentique à mon avis. Pour moi, ces musiques ont été médiatrices, elles m'ont réconcilié avec ce que j'avais perdu... C'est l'un des premier TG qui m'avait alors vraiment impressionnée : "Music from thé Death factory". Le son était crade, mais il portait en lui le souvenir nauséeux de notre état prénatal, de ce qu'un fœtus est capable d'entendre derrière la paroi du ventre maternel/La conception émotionnelle (sans tabous), d'un monde sonore, indistinct et hostile. J'ai compris qu'il y avait beaucoup à apprendre de toutes ces nouvelles musiques, et j'avoue qu'à cette époque j'en ai fait une overdose (salutaire) qui m'a aidé à tuer les restes d'un squelette culturel médiatisé par les musiques rabâchées depuis notre enfance - musiques niaises et faciles qui ne font que mieux nous conformer au moule social. Je voudrais mentionner ce que j'écoutais à l'époque : Esplendor Geometrico/Z'ev/Test Dept/Coil/Current 93/Nurse with wound/E. Neubauten/Monle Cazozza/TG... comme Merzbow et beaucoup d'autres... Cela me rappelait des états pratiquement épidermiques, émotionnels qui dépassaient tout entendement de ce qui est convenable et acceptable. Et sans pouvoir expliquer les raisons, automatiquement, j'eus l'idée de réaliser ces collages, à la fois sous l'emprise de ces musiques et des émotions pénibles que j'avais occultées. Ce qui est étrange, c'est que ces émotions me ramenaient à l'état passé d'un coma qui avait duré plusieurs jours alors qu'on me croyait cliniquement incapable de revenir en vie. Je puis me rappeler pourtant et intensément des sons autour de moi - et ce sont (à peu près) justement ces sons que l'on peut percevoir (par exemple à travers certains passages de "Monstrous Soûl" de Lustmord et autres). Pour moi, ces musiciens avaient "saisi" ce quelque chose, de terriblement "tabou" en fait, c'est à dire toucher/exprimer ce qui est considéré "extrême" dans une société qui se veut modérée tout en ignorant cet autre aspect de la vie - et qui terrifie justement. Ce que je veux dire, et ce que je ressens à travers ces musiques, c'est que la vie a un goût terrible de force et de violence, elle est comme un spasme que nous enfermons derrière un squelette de conventions. Toute cette violence, ce chaos... me fascinent comme source d'inspiration et je me dis d'ailleurs que le "Paradis" n'est en fait que la concrétisation de la médiocrité molle qui nous maintient dans l'imbécillité la plus béate et ignare avec adhésion complète du bon citoyen honnête... J'ai décidé qu'à travers mon expression, "j'essaierai" d'aller toujours plus loin et plus loin encore - car il y a une immensité effroyable à découvrir derrière notre mur de convenances. Des monstres, nous le sommes tous, c'est justement cette palette-là dont j'ai besoin.
-Walter Scassolini: Ce n'est pas dangereux ?

-Françoise Duvivier:
Il faut savoir revenir bien sûr, il suffit de prendre un ticket aller/retour. Et puis si cela est dangereux, j'aime beaucoup. Le danger est majestueux parce qu'il amène l'envie de le combattre. Il est aussi fascinant que le vide qui nous appelle avec l'idée que ce vide pourrait nous broyer et nous déchiqueter. En fait, ce monde dans lequel nous vivons quotidiennement est un immense danger. Nous l'occultons parce que nous avons peur. Tout être est un être rongé par la peur de ce vide. Je me nourris de la peur des autres et de ma propre peur. C'est ma thérapie.
-Walter Scassolini: Autrement avant d'être connue avec Dive, faisais-tu d'autres choses ?

-Françoise Duvivier:
J'ai collaboré à plusieurs projets visuels pour RRRecords, Sudden Infant, certaines compilations avec N.B. magazine, et Freedom in a Vacuum, etc. Sans compter certaines revues américaines qui ont publié certains de mes collages. J'ai publié "M° Riquet" qui se voulait être un magazine d'infos et d'échanges à travers le network international. Je présentais à lo fois des performers, des artistes visuels et surtout des musiciens, des chroniques... toujours dans une optique alternative. "M° Riquet" était écrit en anglais, il se voulait international, et s'inspirait de revues comme "N.D." édité por Daniel Plunkett, et "Factsheet Five"... Si "M° Riquet" s'intéressait davantage à l'alternative, c'est parce que l'alternative permet de découvrir davantage d'expressions hors normes, et qui échappent à cette domestication culturelle... Ok, ce qui ne veut pas dire que tout est original dans l'alternative. Il y a ici, hélas, de l'ordinaire, et des artistes aussi prétentieux que ceux que l'on "a plaisir" à rencontrer dans les milieux officiels... Je dis simplement qu'il y a ici davantage de possibilités de découvrir du rare et certaines originalités qui ne peuvent se faire accepter ou comprendre au niveau de la sphère officielle.
-Walter Scassolini: Pourtant certaines artistes en marge, réussissent à se frayer un chemin ?

-Françoise Duvivier:
Oui, c'est vrai, cela arrive - quelquefois - mais rarement car l'ensemble de la culture officielle se veut compact et homogène. Il y a des artistes audacieux comme Peter Witkin qui passent le tremplin, mais cela m'étonne quelque part, et parfois ça me laisse perplexe et méfiante. N'y-a-t'il pus dans l'art de Peter Witkin, une certaine complaisance au voyeurisme, susceptible de plaire à certains intellectuels frustrés en mal de sensations fortes ? Sans être pourtant bousculés dans leur façon de vivre ? J'ai davantage apprécié l'exposition d'ArnuIf Rainer : "Cadaveri" à Beaubourg, car l'ampleur était plus forte, plus subtile au niveau humain, elle nous ramenait davantage à notre nuit, à notre corps : viande hurlante, et à notre souffrance irrémédiable. Ceci dit, il peut y avoir des éclairs d'originalité, qui éclaboussent les tentures de cette culture officielle, mais ces éclairs sont rares, et peut-être existent-ils parfois pour nous faire croire à une "pseudo" liberté (?!). Je note souvent, qu'en fait, ces artistes qui passent le tremplin sont très peu remarqués par la masse qui devient de plus en plus passive, aveugle et bornée en vieillissant.
-Walter Scassolini: Beaucoup de gens comparent ton travail à celui de Peter Witkin ?

-Françoise Duvivier:
Cela est vrai et cela m'étonne à la fois - et si je me suis intéressée à Peter Witkin, c'est parce que quelques unes de mes connaissances me parlaient souvent de lui à propos de mon expression qu'ils considéraient similaire à la sienne. Nos techniques sont cependant différentes - Peter Witkin est un photographe, il pratique beaucoup le photomontage, je travaille de mon coté, le collage et un peu le graphisme et s'il y a la photo dans mon travail, elle est souvent issue de divers magazines, mais ces photos ne sont pas produites par moi. Je reconnais chez Peter Witkin ce même souci de montrer cette décadence humaine, ainsi que notre déchéance et qui rappelle parfois certains tableaux de Jérôme Bosh. Quand j'essaie de me mettre dans le concept de Peter Witkin, vivant dans un pays puritain, où le corps n'est louange qu'à la seule condition qu'il soit beau, jeune et parfait, je comprends sa démarche et la trouve audacieuse et courageuse. Peut-être qu'un autre mystère nous relie, mais je l'ignore encore ... et s'il y a un mystère non élucidé, il y a aussi une différence dans notre expression à chacun, ne serait ce par exemple que cette fascination vis-à-vis de la mort que je trouve moins accusée dans l'œuvre de Peter Wilkin.
-Walter Scassolini: Pourquoi ce penchant très fort pour la mort ?

-Françoise Duvivier:
Elle est notre lot commun et on ne peut y échapper. Elle est fascinante parce que tabou, effrayante et puissante, et quoiqu'on veuille l'occulter, elle se manifeste pourtant partout dans notre vie, que ce soit dans l'ombre de nos cauchemars, nos peurs, mais aussi dans notre désir de la fuir et qui nous pousse à l'exprimer. Je citerai par exemple, ces longues architectures aux murs froids et glabres qui nous rappellent les cimetières ou la nudité solitaire des corridors sous les néons qui renvoient à l'image de la morgue, et notre aspiration à la beauté plastique et frigide est aussi un autre aspect de la mort cachée, mois toujours présente dans notre quotidien. Pour moi, rien n'est plus mort que la beauté stéréotypée d'un mannequin posant dans un magazine. C'est aussi la viande-cadavre que nous mangeons chaque jour. C'est le rayon-morgue, viande congelée de chaque supermarché... (tout cela banalisé) et j'en passe. La mort m'a toujours fascinée même quand j'étais gosse, elle est pour moi aussi naturelle que le ciel au-dessus de nous. Le rapport que nous avons avec elle est captivant, riche en peurs et en rituels (rituels qui continuent d'exister dans certaines peuplades primitives).
-Walter Scassolini: As-tu peur de ta propre mort ?

-Françoise Duvivier:
C'est une question difficile. Non, je ne crois pas en avoir peur. Il y a des moments si pénibles dans l'existence qu'elle apparaît comme un soulagement à nos maux. La mort est en fait nécessaire. Je crée parce que je sais que je suis mortelle, parce que je sais qu'un jour, je cesserai d'exister, de vivre et qu'on m'oubliera. Je vis et j'essaie de me dépasser parce que je sais que je suis mortelle. Je ne crois pas qu'il y aurait tant de vie et de volonté "d'être" sur terre, si nous avions le statut "d'immortels". Le monde est un tourbillon où nous, mortels, nous nous débattons et luttons, et sans cette ombre d'une mort toujours présente, il n'y aurait pas de lutte, pas d'intensité - pas de tragédie. Pour moi, ça serait l'ennui. Nous avons besoin de ce clair/obscur que sont la vie/la mort.
-Walter Scassolini: Comment vous êtes-vous rencontrés Dirk Evens et toi ?

-Françoise Duvivier:
A l'époque, je connaissais pas mal Hybryds, pour lesquels j'avais fait quelques collages pour leur CD "The Ritual should be kept Alive". Je suppose que Dirk Ivens a découvert mes collages chez eux et a flashé dessus. C'est ainsi que notre histoire a commencé, de "First Album" jusqu'au livre/cd : "Images", ainsi qu'un show en Allemagne :"1654 The Cave" où Dive fut entouré, baigné et recouvert de diapos géantes qui représentaient plus de 120 de mes collages.
-Walter Scassolini: Cela a été un tremplin pour toi ?

-Françoise Duvivier:
On connaissait déjà, un peu mes collages avant. Mais ce livre/CD "Images", et du fait que Dive connaît un large public de fans, m'a pas mal aidée. Je suis surtout contente qu'il y a eu osmose de nos deux expressions, l'une sonore et l'autre visuelle. Dirk Ivens s'est engagé à réaliser ce livre et j'apprécie sa sensibilité d'avoir su saisir l'inspiration sonore que possèdent ces collages. La réaction du public a été largement positive à cette collaboration. Cela dit, du fait que Dive soit connu par un large public, et a "osé" (en sorte), exploiter mes images, cela a justement levé un certain "tabou" qui sévissait sur ces collages. De toute façon, une fois le CD : "Images" de Dive oublié, je ne me fais aucune illusion sur le destin de mon expression. Elle reste pour la plupart des gens trop obscure
-Walter Scassolini: Peux-tu expliquer le procédé des collages ?

-Françoise Duvivier:
C'est un procédé que je compare et que j'aime comparer à la "Magie" car il m'étonne moi-même. Il y va beaucoup de l'improvisation et de l'expérimentation, le but étant de "recréer" une image ou une atmosphère, de déstructurer ce qui était avant savamment "structuré". Mes documents ne sont que des photocopies piochées au hasard dans des magazines. Le choix de ces documents n'a aucun but, ou peut-être en a-t'il un que j'ignore. Il peut m'arriver de rêver la nuit de situations précises et d'avoir alors l'envie de posséder une documentation précise sur le sujet rêvé. Il y a quelque chose d'enfantin dans ce procédé, car il est complètement basé sur la magie, le jeu, l'expérimentation, et la joie d'éprouver une certaine surprise devant l'effet final. Beaucoup de gens sont étonnés de savoir que ces images sont des collages car, à l'oeil nu, il est (presque) impossible de bien voir la charnière entre les images, et l'ensemble crée une atmosphère à chaque fois différente. Je puis passer souvent une après-midi entière sur un collage qui ne pourra être plus grand qu'un format 21/29.7, car ce travail est trop complexe et demande du temps, de la maîtrise et de la patience. Ces collages viennent d'un désir d'expérimentation avec des matériaux qui ne sont pas considérés "nobles" dans le milieu de l'art, ils viennent d'un plaisir ludique d'étonner, de m'étonner, d'étonner les autres. Pour moi, je m'amuse avec ce mystère, et cela ne peut que rester "magique".
-Walter Scassolini: Que véhiculent tes visuels ?

-Françoise Duvivier:
Ces images veulent nous faire voyager au fond d'un subconscient obscur, profond, occulté par une normalisation sociale qui nous veut à l'image d'un dieu immaculé de tâches et de souillures, alors que nous sommes ces monstres. Je ne fais aucune concession et je ne veux pas en faire. C'est effrayant, je vois que ces images sont pénibles à regarder pour certaines personnes, d'autres sont fascinées et à la fois effrayées. En un mot, elles ne laissent jamais le spectateur indifférent. Elles sont le miroir à l'envers d'un inconscient obscur qui (peut-être) remonte à l'aube de l'humanité. Elles nous rappellent que nous sommes restés vulnérables et que rien dans notre société technologique ne peut et ne pourra nous protéger. Elles nous révèlent que nous sommes nus et faibles, toujours à la merci d'une nature puissante et hostile. Elles sont ma propre peur, elles sont la peur que je ressens chez l'autre. Et ceux qui ont le courage se reconnaissent volontiers dons cette peur.
-Walter Scassolini: Ne crains tu pas d'être désormais prisonnière du visuel de Dive ?

-Françoise Duvivier:
Non. Pas du tout. Tous deux, sommes trop indépendants pour être influencés ou prisonniers de l'un ou l'autre. Dive évolue de son côté, dans son propre style, j'ai mon propre chemin à suivre. Peut-être qu'un jour, nos chemins se croiseront à nouveau - je n'en sais rien. D'après une interview lue dans le récent "Side-Line", j'ai lu que Dive préférait désormais travailler avec d'autres artistes. Quoiqu'il a gardé mes diapositives qui lui ont servi lors du festival "1654 The Cave". Pour l'instant, je ne peux clairement dire quels sont ses projets...
-Walter Scassolini: Fais-tu souvent des cauchemars ?

-Françoise Duvivier:
Ok, ça, c'est une question type de psychiatre, j'y ajoute le voyeurisme ! Mais je ne répondrai pas comme on peut répondre à un psychiatre. Parce que je ne suis pas alarmée par mes cauchemars, ils sont multiples, grouillants, répugnants, riches, emprunts de magie noire, et c'est ici que je casse la frontière avec le "matérialisme" pour opter pour la "magie". Certains cauchemars sont profondément hermétiques et sombres. A la clarté du jour et de la normalisation, ils m'étonnent et parfois, me font peur. Mais ils sont là, et m'aident à survivre, à donner la magie à ce que je désire exprimer. Il y a pour moi un double monde existant dans notre vie. La nuit est un voyage qui me permet de visiter ce monde. Il y a ce leitmotiv qui revient. Je suis dans le monde des humains, de la vie, et peu à peu, tout se dépeuple autour de moi, il n'y a alors qu'un vaste paysage de vallées sombres, et au-delà, il y a l'autre monde terriblement dangereux où les esprits mauvais s'acharnent cruellement sur nous. L'herbe y est plus noire, plus rase, les vents ne laissent pousser aucun arbre et le ciel n'est qu'une immense voûte grise remplie des sifflements des vents et de la tourmente. Et je vais vers ce monde, quoique je pressente son danger. Il y a là derrière les montagnes des créatures malveillantes dont la cruauté dépasse même tout entendement humain (je ne m'étendrai pas, ça risque d'être trop long ou d'ennuyer). C'est comme s'il y avait eu une autre existence sur terre, bien avant les animaux et les hommes. J'essaie parfois, quand je peux, de restituer visuellement ces personnages à travers les masques et les poupées ou dans l'atmosphère des collages. Ce cauchemar n'est qu'un échantillon. Ça suffit.
-Walter Scassolini: Projets ?

-Françoise Duvivier:
Un CD de Brume sortira dans la collection N.D. aux Etats-Unis, avec comme couverture, une peinture faite en 84/85. Je sois par Dirk qu'un vidéaste est actuellement entrain d'utiliser mes diapositives de collages, afin de faire un film sur les musiques dites extrêmes et autres (ce projet m'intéresse davantage). Je suis de même ouverte à d'autres projets de ce genre, pouvant prolonger mon type d'expression. Il suffit de me contacter. Comment étais-tu petite ? Un monstre comme aujourd'hui... Walter Scassolini